Today, c’est littérature !

Salut les copains,

Voilà un long moment que je n’ai pas traité de littérature ici.

On raconte beaucoups de bêtises mais il me faut parfois vous instruire un peu!

Donc le sujet du jour est : « Glu », d’Irvine Welsh, à savoir ça :

Je ne sais pas pour vous mais moi, la couv’ m’inspire…

Bref, tout ça pour dire que Glu est un roman qui traite de l’aspect social des 70’s dans la banlieue d’Edimbourg (ou comment voyager gratos!).

Voici le pitch :

Terry le don Juan, Billy le boxeur, Carl le DJ et Gally la poisse : quatre jeunes garçons de la banlieue d’Edimbourg, quatre enfants de la bagarre et des pubs enfumés. Glu nous fait parcourir avec eux, des années 70 à aujourd’hui, trente ans de culture musicale et sociale, du punk à la techno, de l’héroïne à l’ecstasy. Explosion sociale, explosion littéraire, trente ans de vie politique pour arrière-plan, un tchatchérisme cruel, les fermetures d’usines, les mutations, les petites et grandes tragédies de la vie ordinaire. Trente ans pendant lesquels les quatre amis cherchent sans désemparer leur vraie place dans une société où ils sont nés laissés pour compte.

Passons à mon avis sur ce bouquin:

Dans un premier temps, sachez qu’avec ce livre, vous en aurez pour votre argent, il pèse un peu plus de 400 grammes et compte 650 pages, de quoi vous occupez dans le métro durant votre trajet quotidien!

Ensuite, ce livre s’articule autour de différents chapitres qui racontent tour à tour la vie de chacun des protagonistes ou des épisodes clés de leur vie.

Pour les adeptes des feux de l’amour, je vous suggère de lire chaque chapitre, pour les lecteurs en quête de sensation, je suggère de sauter certains chapitres trop longs et peu intéressant tant pour l’histoire que pour vous.

Le côté positif de cet ouvrage est qu’il présente la vie d’un groupe de jeune des  70’s jusqu’à leurs vies de famille.

Ainsi vous pourrez suivre l’évolution des protagonistes ou la descente en enfer selon les personnages et découvrir les différentes époques à travers un pays autre que la France.

Même si je n’ai pas particulièrement accroché, je pense qu’il s’agit d’un excellent livre, que je vous suggère de lire pour vous faire une opinion.

Et pour ceux que cela intéresse, voici en exclu le premier chapitre :

Fenêtres sur les seventies

Le soleil se levait derrière les barres d’immeubles bétonnées d’en face, éblouissant brutalement leurs visages. Surpris par cet éclat sournois, Davie Galloway laissa presque tomber la table qu’il portait avec peine. Il faisait déjà très chaud dans le nouvel appartement et Davie se sentait comme une plante exotique inconnue qui se fane sous une serre surchauffée. Ces fenêtres, elles sont immenses, elles aspirent le soleil, pensait-il en posant la table pour observer la cité en contrebas.
Davie se sentait pareil à un souverain nouvellement couronné qui contemple son empire. Pour sûr, les nouveaux bâtiments étaient impressionnants : ils étincelaient de mille feux quand les rayons se reflétaient sur les petits éclats brillants incrustés dans le revêtement. Lumière, propreté, air et chaleur, c’était de ça qu’on avait besoin. Il se remémora les taudis froids et sombres de Gorgie, couverts de suie et de crasse au fil des générations, à l’époque où la ville méritait pleinement son surnom de «Vieille Chlingante ». Dehors, les rues maussades et étroites regorgeaient de gens fatigués qui traînaient le pas dans le froid mordant de l’hiver. Et une odeur fétide de houblon s’échappait des brasseries, s’insinuait dès qu’on ouvrait les fenêtres et donnait la gerbe si on avait trop picolé au pub la veille. Tout cela avait disparu, et ce n’était pas trop tôt. Bienvenue dans la vraie vie !
Pour Davie Galloway, les grandes fenêtres symbolisaient le succès total de ces nouveaux bâtiments posttaudis. Il pivota vers sa femme qui cirait les plinthes. Pourquoi fallait-il qu’elle cire les plinthes d’un appartement neuf ? Mais Susan était agenouillée, vêtue d’une salopette, et son épais chignon noir tressautait, témoin de son activité frénétique.
— C’est ça le top, dans ces apparts, Susan, lança Davie. Les grandes fenêtres. Qui laissent entrer le soleil, ajouta-t- il avant de jeter un œil émerveillé à la petite boîte fixée au mur au-dessus de sa tête. Chauffage central pour l’hiver et tout. Ça, y a pas mieux : un bouton et c’est bon.
Susan se leva lentement, attentive à la crampe qui s’était installée dans sa jambe. En sueur, elle frappa le sol de son pied engourdi et paralysé pour rétablir la circulation. Des perles humides apparaissaient sur son front.
— Il fait trop chaud, se plaignit-elle.
Davie secoua vivement la tête.
—Nan, faut en profiter tant qu’on peut. On est en Écosse, je te rappelle, ça va pas durer.
Il inspira et souleva la table pour reprendre sa lutte féroce en direction de la cuisine. Cette saloperie était difficile à manier : une belle pièce en formica toute neuve dont le poids semblait se déplacer constamment et qui se cassait immanquablement la gueule. Autant se bastonner avec un putain de crocodile, pensa-t-il. Et effectivement, la bête referma les mâchoires sur ses doigts, l’obligeant à les porter à sa bouche tandis que la table tombait sur le sol avec fracas.
— Pu… Purée !
Il ne jurait jamais devant une femme. Au pub, on pouvait se permettre certains trucs, mais pas devant une femme. Sur la pointe des pieds, il s’approcha du berceau installé dans un coin de la pièce. Le bébé dormait encore à poings fermés.
— Je t’avais dit que je te filerais un coup de main avec ce machin, Davie. Si ça continue comme ça, t’auras plus de doigts et on n’aura plus de table.
Elle secoua la tête et porta son attention sur le lit du bébé.
— Ça m’étonne que tu l’aies pas réveillée.
Conscient de sa gêne, Davie lui dit :
— Tu l’aimes pas vraiment, la table, hein ?
Susan Galloway secoua à nouveau la tête. Son regard survola la table de la cuisine et se posa sur le canapé neuf, la table basse neuve, les tapis neufs, tous arrivés comme par magie la veille, alors qu’elle était au travail à la brasserie.
— C’est quoi, le problème? demanda Davie en agitant sa main endolorie. Il sentait son regard pesant, manifestement soupçonneux. De si grands yeux.
— Où t’as pêché ces trucs, Davie ?
Il ne supportait pas qu’elle lui pose ces questions. Ça gâchait tout, ça les montait l’un contre l’autre. C’était pour eux qu’il faisait tout cela ; pour Susan, pour le bébé, pour le petit gars.
— Pose pas de questions, j’te raconterai pas de conneries.
Il sourit sans pour autant réussir à la regarder droit dans les yeux, aussi frustré de cette répartie qu’elle devait l’être. Au lieu de ça, il se pencha au-dessus du berceau et embrassa sa fille sur la joue.
En se relevant, il se demanda à voix haute :
— Il est où, Andrew?
Il jeta un bref coup d’œil vers Susan. Elle se détourna amèrement. Il se cachait à nouveau, il se cachait derrière les gamins. Avec la prudence furtive d’un soldat qui évite les snipers, Davie se dirigea vers le couloir.
— Andrew!
Son fils descendit les escaliers en trombe, figure maigre et pleine de vie, ses cheveux bruns pareils à ceux de Susan mais coupés en brosse ; il suivit Davie jusqu’au salon.
— Le voilà ! lança-t-il gaiement à l’attention de Susan.
Remarquant qu’elle l’ignorait délibérément, il se tourna vers le garçon :
— Tu te plais toujours dans ta nouvelle chambre ?
Andrew leva les yeux vers lui, puis vers Susan.
—J’ai trouvé un livre que j’avais jamais vu avant, leur
annonça-t-il.
— C’est bien, fit Susan en s’approchant pour enlever un fil sur le t-shirt à rayures de l’enfant.
Observant son père, Andrew demanda :
— Quand c’est que je pourrai avoir un vélo, Papa ?
— Bientôt, mon gars, fit Davie dans un sourire.
— T’avais dit que j’en aurais un quand j’irais à l’école.
Son ton était sincère et ses grands yeux noirs fixaient ceux de son père avec un reproche plus modéré que dans le regard de Susan.
—C’est vrai, mon pote, concéda Davie. Et ça va plus tarder.
Un vélo ? Où est-ce qu’on allait trouver l’argent pour acheter un satané vélo ? pensait Susan Galloway en frissonnant tandis que le soleil d’été, flamboyant et étouffant, brillait sans relâche à travers les fenêtres immenses.

Terry Lawson
Premier jour d’école

Les petits Lawson, Terry et Yvonne, étaient installés devant un jus de fruits et un paquet de chips à une table en bois du Dell Inn, sur la terrasse clôturée et bétonnée qu’on appelait le beer garden. Le regard plongé de l’autre côté de la barrière, vers le bas de la pente raide et herbue, ils contemplaient les canards sur la rivière Water of Leith. En quelques secondes, l’émerveillement se transforma en ennui ; regarder les canards, ça allait un moment, mais Terry avait d’autres choses à l’esprit. Il était allé à l’école pour la première fois et ça ne lui avait pas plu. Yvonne irait l’an prochain. Il lui dit que c’était pas génial et qu’il avait eu peur, mais maintenant, il était avec Maman, et Papa était là aussi, alors tout allait bien.
Leurs parents discutaient et il savait sa mère en colère.
— Alors, l’entendit-il lui demander, qu’est-ce que tu as à me dire ?
Terry leva les yeux vers son père qui lui répondit par un clin d’œil et un sourire avant de se tourner vers leur mère pour répliquer froidement :
— Pas devant les gosses.
— Fais pas comme si tu te préoccupais d’eux tout à coup, railla Alice Lawson, sa voix s’élevant régulière, implacable comme le moteur d’un avion en plein décollage. T’es plutôt rapide pour leur tourner le dos ! Essaie pas de me faire croire le contraire !
Henry Lawson pivota pour repérer un potentiel témoin auditif. Croisa un regard curieux, lui renvoya une expression glaciale jusqu’à ce qu’il se détourne. Deux débris, un couple. Vieux connards envahissants. Il siffla entre ses dents, un chuchotement crispé :
— Je te l’ai déjà dit, je m’en occuperai. Je te l’ai déjà dit, putain. Mes putains de mômes, ajouta-t-il d’un ton sec, les muscles de son cou saillant.
Il savait qu’Alice cherchait toujours à voir le bien chez autrui. Il s’imaginait pouvoir afficher un air volontairement outré, instiller dans sa voix une innocence blessée pour lui prouver qu’elle dépassait les limites en insinuant qu’il (et malgré tous ses défauts, il était le premier à les reconnaître) aurait pu laisser ses propres enfants sans assistance ; cela mettait même en branle certaines émotions qui avaient joué une part cruciale dans le déclin de leur relation. En effet, c’était ce genre d’allégations qui l’avaient pratiquement jeté dans les bras de Paula McKay, une célibataire de la paroisse de Leith.
La belle Paula, une jeune femme de grande vertu, avait souvent été le sujet des attaques amères d’Alice. Paula n’avait-elle pas l’entière et unique responsabilité de son père
George, propriétaire de la taverne du Port Sunshine à Leith, atteint d’un terrible cancer ? Il n’en avait plus pour longtemps et Paula aurait besoin de toute l’aide nécessaire pour surmonter cette épreuve. Henry serait solide comme un roc.
Et son nom avait aussi été continuellement souillé, mais Henry était prêt à accepter le fait que les gens puissent dire des choses qu’ils ne pensaient pas, dans ces instants chargés d’émotions. Ne ressentait-il pas lui aussi la douleur du déclin de leur couple ? N’était-ce pas plus dur pour lui, d’être obligé de quitter ses enfants ? Il laissa son regard glisser vers eux, la gorge serrée et les yeux embués. Il espérait qu’Alice avait capté ce geste et que ce serait suffisant.
Ce fut apparemment le cas. Il entendit quelques gargouillis, comme ceux de la rivière en contrebas lui semblait-il, et il fut ému au point de passer son bras autour de ses épaules tremblantes.
—Reste, je t’en prie, Henry fit-elle dans un frisson, appuyant sa tête contre sa poitrine, ses narines emplies de l’odeur d’Old Spice encore présent sur son menton aussi rêche qu’une râpe à fromage.
La barbe d’Henry ne repoussait pas vers 17 heures mais plutôt vers midi, ce qui l’obligeait à se raser deux fois par jour.
— Là, là. T’en fais pas. On a les enfants. Tes enfants. Mes enfants.
Il sourit et tendit la main pour ébouriffer la tignasse frisée de Terry non sans penser qu’Alice pourrait l’emmener chez le coiffeur un peu plus souvent. On aurait dit Shirley Temple.
Ça risquait de pousser le gamin à grandir de traviole.
—T’as même pas demandé comment ça s’était passé pour lui à l’école.
Alice se redressa, mue par l’amertume tandis qu’elle se concentrait sur l’instant présent.
— Tu m’en as pas laissé le temps, répliqua Henry avec une impatience hargneuse.
Paula l’attendait. Attendait ses baisers, son bras réconfortant qui gisait à présent sur l’épaule d’Alice. Alice, larmoyante, boursouflée, épuisée. Quel contraste avec le jeune corps de Paula : musclé, mince, vierge des marques de grossesse.
Il n’y avait vraiment pas photo.
Forçant ses pensées au-delà de son odeur, de ses propos, de son bras puissant, pour se concentrer sur ce qui se passait, laissant la douleur pulser sans relâche dans sa poitrine, Alice parvint à lâcher :
—Il a pleuré et pleuré et pleuré encore. À s’en faire tomber les yeux. Henry enragea. Terry était le plus âgé de sa classe après avoir raté une année des suites d’une méningite. Il aurait dû être le dernier à pleurer. C’était de la faute d’Alice, elle le gâtait trop, elle le traitait comme un bébé à cause de sa maladie. Mais plus rien ne clochait chez ce gamin. Henry s’apprêta à mentionner la coiffure de Terry qui lui donnait l’air d’une fille ; à quelle autre réaction pouvait-elle s’attendre? Mais Alice ne le quittait pas des yeux, son regard bouillant d’accusation. Henry se détourna. Elle fixa la courbe de sa mâchoire, ses poils drus, puis se surprit à contempler Terry.
Le gamin avait été si malade, à peine dix-huit mois plus tôt. Il avait survécu de justesse. Et Henry leur tournait le dos, à tous, pour aller la retrouver, cette sale petite pute volage.
Une prise de conscience sauvage lui martela la poitrine, et elle ne fit rien pour s’en protéger, n’essaya pas de se recroqueviller, de se pelotonner.
BANG
L’allure droite et fière, Alice sentait ce bras flasque peser sur son épaule. La prochaine pulsation déchirante de nausée ne serait pas aussi atroce que celle-ci.
BANG
Quand est-ce que tout irait mieux, quand est-ce que cette terreur s’évanouirait, quand est-ce qu’elle, qu’ils, pourraient être ailleurs
BANG
Il les quittait pour elle.
Puis il lâcha l’ancre de son bras et Alice coula dans le néant. Dans son champ de vision périphérique, elle le voyait qui lançait Yvonne dans les airs, puis attirait ses enfants à lui et les serrait, leur murmurant des instructions importantes mais encourageantes, comme un entraîneur de foot qui motive ses joueurs à la mi-temps.
— Votre papa a un nouveau travail, alors il sera souvent en déplacement. Vous voyez comme ça attriste Maman? Henry ne vit pas Alice se redresser avec raideur, puis s’avachir à ces mots, défaite, comme s’il lui avait collé un coup de pied à l’estomac.
— Ça veut dire que vous deux, vous allez devoir l’aider.
Terry, je veux plus entendre que tu pleures à l’école. C’est pour les petites filles débiles, ajouta-t-il en serrant son poing et en le pressant contre le menton de son fils.
Henry plongea sa main dans la poche de son pantalon et en tira deux pièces de deux shillings. Il en plaqua une dans la paume d’Yvonne en observant la neutralité de son expression tandis que les yeux de Terry s’agrandissaient d’impatience.
— Oublie pas ce que je t’ai dit, fit Henry dans un sourire avant de lui offrir le même cadeau.
— Tu viendras quand même nous voir de temps en temps,
Papa ? demanda Terry, le regard rivé sur la pièce argentée.
—Bien sûr, mon garçon ! On ira au foot. On ira voir jouer les Hearts !
L’humeur de Terry s’améliora. Il adressa un sourire à son père puis baissa les yeux vers les deux shillings.
Le comportement d’Alice est si étrange, remarqua Henry en s’assurant que sa cravate était droite, avant d’effectuer une sortie planifiée. Elle était assise là, toute ratatinée. Bon, il avait déclamé son truc, l’avait rassurée au mieux. Il reviendrait pour jeter un œil aux gamins, les sortir, un milk-shake au Milk Bar.
Ils aimaient ça. Ou des frites au Brattisanni’s. Mais discuter encore avec Alice ne l’avancerait en rien. Ça ne ferait que provoquer davantage son hostilité, et ce serait mauvais pour les gosses. Le mieux était de s’éclipser en silence. Henry se glissa entre les tables. Il adressa un autre regard mauvais aux vieux. Ils lui rendirent son œillade avec mépris.
Il s’avança jusqu’à eux. Henry se tapota le nez et, l’air enjoué mais glacial, leur lança :
— Gardez ça en dehors des histoires des autres, ou vous finirez par vous le faire péter, c’est clair ?
Le couple resta sans voix face à tant d’audace. Il soutint leur regard quelques secondes, leur adressa un sourire radieux puis se dirigea vers la porte de derrière sans se retourner vers Alice et les enfants.
Mieux valait ne pas faire de scène.
—Y manque pas d’air çui-là, cria Davie Girvan en se levant, faisant mine de suivre Henry avant d’être retenu par sa femme, Nessie.
— Reste assis, Davie. T’occupe pas de ces bêtises. C’est que des horreurs.
Davie se réinstalla à contrecœur. Il ne craignait pas cet homme mais ne voulait pas faire un scandale devant Nessie.
À l’intérieur du pub et en chemin vers la porte principale, Henry échangea quelques hochements de tête et «comment va ? » Le vieux Doyle est là avec un de ses gamins, Duke, pensa-t-il, et un autre taré. Quel clan de gangsters : le vieux, aussi chauve, gras et dérangé qu’un Bouddha psychotique ; Doyle et sa tignasse clairsemée mais coiffée style Teddy-boy, ses dents noircies et ses doigts parés d’énormes bagues.
À son passage, il adressa à Henry un long hochement de tête prédateur. Ouais, considéra-t-il, le meilleur endroit pour ceux-là, c’est bien ici : perdu pour le centre-ville, mais gagné pour la banlieue. Le respect que leur témoignaient les autres buveurs pesait lourd dans l’atmosphère, et l’argent qui passait de main en main lors de leurs parties de dominos représentait bien plus qu’aucun d’entre eux n’aurait gagné en un mois de salaire à l’usine ou sur les chantiers de construction.
C’était un pub qu’Henry avait fréquenté quand ils avaient emménagé ici. Pas le plus proche, mais son préféré. On pouvait y boire une bonne pinte de Tartan Special. Mais ce serait sa dernière visite avant un bon bout de temps. En se dirigeant vers la sortie, il se rendit compte qu’il ne s’était jamais vraiment plu dans ce coin. Coincé au milieu de nulle part, non, il ne reviendrait pas.
À la terrasse, Nessie Girvan se remémorait les images de la famine au Biafra diffusées à la télé la veille au soir. Ces petites âmes, ça vous brisait le cœur. Et cette ordure, il y en avait tout un tas comme lui. Elle ne comprenait pas pourquoi certaines personnes avaient des enfants.
— Quelle sale bête, fit-elle à son Davie.
Il regrettait de ne pas avoir été plus réactif, de ne pas avoir suivi ce bâtard dans le pub. L’homme avait une dégaine de filou, il faut l’avouer : le teint olive, un regard dur et sournois. Davie s’était attaqué à bien plus rude, mais c’était il y a longtemps.
—Si notre Phil ou notre Alfie avait été là, il aurait pas joué au con comme ça. Quand je vois des ordures comme lui, j’aimerais bien être plus jeune. Juste cinq minutes, c’est le temps qu’il faudrait pour… bon Dieu…
Davie Girvan s’arrêta net, n’en croyant pas ses yeux. Les enfants s’étaient faufilés par une brèche du grillage et dévalaient la colline vers les berges de la rivière. Elle était peu profonde à cet endroit, mais la pente se faisait plus raide jusqu’à des trous d’eau dangereux.
—MADAME! hurla-t-il à la femme sur sa chaise, le doigt pointé vers la clôture. FAITES DONC GAFFE À VOS GOSSES, ENFIN !
Ses gosses
BANG
Dans une panique absolue, Alice observa l’espace vide à ses côtés, aperçut le trou dans le grillage et s’y précipita. Elle les vit debout, à mi-chemin entre elle et l’eau sur la pente raide.
—Yvonne ! Viens ici, supplia-t-elle avec tout l’aplomb qu’elle put rassembler.
Yvonne leva les yeux vers elle et gloussa.
—Nan!
BANG
Terry tenait un bâton. Il fouettait l’herbe haute sur la rive et couchait de longues touffes sur le sol. Alice l’implora :
— Vous ratez tout un tas de bonbons et de jus de fruits. Et de la glace aussi !
Un éclair de reconnaissance illumina le regard des enfants.
Ils escaladèrent la berge pour franchir à nouveau la clôture.
Alice aurait voulu les battre, elle aurait voulu leur mettre une trempe, elle aurait voulu lui mettre une trempe
Alice Lawson explosa en un lourd sanglot et serra ses enfants en une étreinte ferme, s’accrochant à leurs vêtements et à leurs cheveux.
— L’est où la glace, Maman? demanda Terry.
— On va l’acheter, mon fils, on va l’acheter.
Davie et Nessie Girvan regardèrent la femme abattue s’éloigner en chancelant, agrippant la main de ses enfants, aussi vifs et pleins de vie qu’elle semblait brisée.

7 Replies to “Today, c’est littérature !”

  1. Merci Glama !

    …ça fait du bien un peu de conseils littéraires de temps en temps. Le livre ne doit pas mourir !

    … Et en l’occurence, le pitch m’attire assez.

    Dans le « même genre », il y a Frankie Blue, un roman sur 4 copains de la banlieue londonnienne que l’on suis pas flashback de leur enfance sous Tatcher et les tubes eighties à leur accomplissements. où déchéance… Très bien écrit, truffé d’humour. et grave en arrière-plan.

    Excellent livre même s’il devrait plus plaire aux garçons.

  2. Merci Nakito pour ce complèment d’info, je vais de ce pas lire Frankie Blue qui sait peut être que je vais adorer !

  3. patounettechatte dit : Répondre

    J’ai fait le plein de lecture déprimante pour ce mois-ci !!! Et franchement la scène ou le salaud plaque sa famille ça me donne moyennement envie…….

  4. @ Patounette : mais pourquoi choisis tu des lectures déprimantes franchement ??

  5. patounettechatte dit : Répondre

    Ben, c’est beau !!!! L’auteur c’est Olivier Adam, j’ai lu « Falaises » qui est déjà difficile mais là c’est son dernier roman « Des vents contraires » et c’est trés trés trés triste MAIS également trés beau !!! J’ai adoré mais maintenant j’ai besoin de quelque chose de plus gai !!! En plus, en un jour, je viens de lire « 3 jours chez ma mère » et si c’est bien écrit je ne comprends toujours pas le succès de ce livre………

  6. @Patounette : tout s’explique dans ce cas, les bouquins te plaisent mais sont difficiles à lire, je pensais que tu ne lisais que des bouquins pas intérressants !

  7. patounettechatte dit : Répondre

    En fait, je bouquine beaucoup, beaucoup !!!! J’adore ça !!! Derniérement j’ai lu et je conseille : « les déférantes » de claudie Galay et « les yeux jaunes des crocodiles » de K.Pancol !!! Ce midi j’ai commencé « cul de sac » de Douglas Kennedy, j’adore lire ses bouquins et celui-là est son premier succès et je ne l’avait pas encore lu : et ça commence bien trés « comme j’aime » !!!

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